Au nom de l’égalité salariale

Au nom de l’égalité salariale

En septembre 2022, la Suisse a accepté de relever l’âge de la retraite des femmes. Ainsi, les femmes et les hommes sont désormais sur un pied d’égalité en ce qui concerne l’âge de la re-traite. Mais de nombreuses autres inégalités subsistent au détriment des femmes, à commencer par l’inégalité salariale. Que fait la Suisse pour lutter contre l’inégalité salariale ? – transfair en parle.

Olivia Stuber

À âge de retraite égal, salaire égal ?

Le fossé des genres s’est ouvert : le 25 septembre 2022, le peuple suisse a approuvé de justesse l’augmentation de l’âge de la retraite des femmes. Une nouvelle fois, des économies se font sur le dos des femmes, bien que celles-ci touchent déjà des rentes inférieures d’environ un tiers à celles des hommes. Les partisans d’AVS-21 notamment ont souvent brandi dans leur campagne l’argument de l’égalité : les femmes qui veulent plus d’égalité doivent travailler aussi longtemps que les hommes. C’est désormais le cas, mais à quelles conditions ?

Selon les chiffres actuels de l’Office fédéral de la statistique (2018), les femmes touchent en moyenne chaque mois 19 pourcent ou 1512 francs de moins que les hommes dans l’économie nationale. 45,4 pourcent de cette différence ne s’expliquent par aucun facteur objectif, comme la position professionnelle ou le niveau de formation. Il existe donc une discrimination salariale structurelle. Les femmes gagnent ainsi en moyenne 8,6 pourcent de moins que les hommes, du seul fait qu’elles sont des femmes. En termes monétaires, cela correspond à une différence de 684 francs par mois, et cela peut aller jusqu’à 1324 francs dans le secteur privé. L’écart de salaire augmente même avec le temps.

Que fait la Suisse pour contrer la discrimination salariale ?

En Suisse, la loi sur l’égalité (LEg) est entrée en vigueur en 1996. Cette loi a pour but de promouvoir l’égalité effective entre femmes et hommes. Ses différentes sections sont consacrées à l’égalité dans les rapports de travail, aux dispositions spéciales relatives aux rapports de travail régis par le code des obligations, aux voies de droit dans les rapports de travail de droit public, aux aides financières ainsi qu’au Bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommes.

En 2020, la LEg a été complétée par une nouvelle section portant sur l’analyse et le contrôle de l’égalité salariale. Depuis 2020, les employeurs qui occupent un effectif d’au moins 100 salarié-e-s sont tenus de réaliser à l’interne une analyse de l’égalité des salaires pour l’année en cours. Cette analyse doit être répétée tous les quatre ans, mais seulement si l’analyse a démontré que l’égalité salariale n’est pas respectée. L’analyse de l’égalité des salaires doit être vérifiée par une entreprise de révision agréé ou par une représentation des travailleuses et travailleurs. Au plus tard un an après la vérification, l’employeur informe par écrit les salarié-e-s et les actionnaires du résultat de l’analyse. Le 1er juillet 2032, tout cela prendra fin : le parlement a limité la durée de validité de l’analyse de l’égalité salariale à 12 ans (clause d’extinction). Passé ce délai, l’obligation d’analyser l’égalité des salaires s’éteindra, même si des inégalités subsistent.

Comment les analyses de l’égalité salariale sont-elles réalisées ?

Selon l’art. 13c de la loi sur l’égalité, les entreprises concernées doivent réaliser l’analyse de l’égalité des salaires selon une méthode scientifique et conforme au droit. À cet effet, la Confédération met gratuitement à la disposition de tous les employeurs un outil d’analyse standard appelé Logib.

Pour en savoir plus, transfair a contacté le Bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommes (BFEG) qui a commandé l’outil d’analyse des salaires Logib.

Comment fonctionne l’outil d’analyse de l’égalité salariale Logib ?

Logib est un outil web qui permet aux entreprises et organisations d’analyser leur pratique salariale dans le but de détecter les inégalités entre femmes et hommes. Logib comprend deux modules : le module 1 convient aux plus grandes entreprises à partir de 50 employé-e-s. Les plus petites entreprises peuvent utiliser le module 2. Sur www.logib.admin.ch, l’analyse se fait en sept étapes.

Quels sont les résultats donnés par Logib ?

Selon le module, Logib présente le résultat de l’analyse sous différentes formes. Pour le module 1, un système de feux de signalisation (vert, orange, rouge) indique si un indice a été trouvé selon lequel femmes et hommes sont en moyenne rémunérés différemment pour un travail de valeur égale. Dans le module 2, un score global indique s’il existe des signes d’inégalités liées au sexe. L’outil fournit également d’autres indicateurs et graphiques pertinents qui donnent des informations sur les différences liées au sexe.

Quels sont les avantages de Logib ?

Logib est un outil web gratuit que la Confédération met à la disposition de toutes les entreprises et organisations. Il est simple, sûr à utiliser et anonyme – aucune donnée n’est enregistrée ni transmise. Logib est un outil scientifique et conforme à la législation qui a été récompensé à plusieurs reprises. Il convient également pour l’analyse de l’égalité des salaires, telle qu’elle est prévue par la loi pour les employeurs de 100 salarié-e-s ou plus.

Et ses inconvénients ?

Selon la taille de l’entreprise et la qualité des données présentes dans la comptabilité du personnel, l’analyse salariale peut prendre un peu de temps. Après préparation et importation des données, l’analyse est néanmoins disponible en quelques minutes.

Pourquoi Logib prévoit-il un seuil de tolérance de cinq pourcent en cas de discrimination salariale (différence de salaire inexpliquée) ?

Le seuil de tolérance de cinq pourcent utilisé dans le module 1 est un seuil de sanction généreux qui a été introduit il y a 20 ans lors de l’introduction de Logib comme instrument de contrôle dans les marchés publics. Toutes les entreprises doivent dans tous les cas verser aux femmes et aux hommes le même salaire pour un travail équivalent, car la loi sur l’égalité ne prévoit aucun seuil de tolérance.

Salaires moyens et écarts salariaux, en 2018

Cinq pourcent de tolérance en cas de discrimination salariale ?

Logib prévoit actuellement un seuil de tolérance de cinq pourcent. Si les entreprises présentent une différence de salaire inexpliquée de moins de cinq pourcent ou si la différence ne s’écarte pas significativement de cinq pourcent, il n’y a pas de discrimination salariale selon Logib. Le seuil de tolérance de cinq pourcent ne figure toutefois dans aucune loi ni ordonnance. Ce seuil n’est pas non plus justifié d’un point de vue méthodologique et juridique. Comme il ressort de la réponse du BFEG, il s’agit d’un instrument de contrôle vieux de 20 ans, issu du domaine des marchés publics. Les arguments selon lesquels le seuil de tolérance de cinq pourcent devrait être reconsidéré et serait peut-être plus que « généreux » sont nombreux.

La recherche le montre également : une étude réalisée pour le Bureau de l’égalité du canton de Vaud arrive à la conclusion qu’en appliquant le seuil de tolérance de cinq pourcent, 80 pourcent des entreprises n’affichent aucune discrimination salariale. En revanche, si l’on tient compte d’un seuil de tolérance de zéro, on constate une différence salariale inexpliquée dans plus de 50 pourcent des entreprises – ce qui montre bien qu’il est nécessaire d’agir.

La problématique du seuil de tolérance de cinq pourcent apparaît aussi dans les derniers résultats de l’analyse des salaires de l’administration fédérale. Deux unités administratives de la Confédération, la Base logistique de l’armée (BLA) et le Centre de services informatiques du DEFR (ISCeco), présentent des différences de salaire de plus de cinq pourcent. Pour la BLA, la valeur ne s’écarte toutefois pas de manière significative des cinq pourcent. En raison du seuil de tolérance, la valeur a été approuvée par l’administration fédérale.

Les écarts mentionnés sont à la fois choquants et révélateurs - le seuil de tolérance de cinq pourcent est un vestige du passé et doit être supprimé.

Que fait transfair pour lutter contre la discrimination salariale ?

transfair a saisi l’occasion des récents événements pour s’engager politiquement. En collaboration avec la co-présidente et conseillère nationale Greta Gysin, deux motions ont été déposées durant la dernière session d’automne pour que la loi sur l’égalité soit adaptée.

L’une des principales revendications des deux motions est la suppression du seuil de tolérance de cinq pourcent. Au lieu des cinq pourcent, une tolérance zéro avec test d’importance statistique doit être appliquée. Cela veut dire que l’on analysera si l’écart salarial est significativement différent de zéro et non plus de cinq. Comme le seuil de tolérance n’est pas encore ancré dans la loi, la LEg doit être complétée par le test de signification afin de lui donner une substance juridique.

Il est également demandé que les analyses de salaires soient répétées plus régulièrement. La seule sanction qu’encourt aujourd’hui une entreprise dont la discrimination salariale est avérée est de devoir répéter l’analyse tous les quatre ans. Si l’analyse des salaires montre qu’il n’y a pas d’inégalité salariale, l’entreprise est libérée de l’obligation d’analyse. Si une entreprise ne présente pas de discrimination salariale aujourd’hui, cela ne signifie toutefois pas qu’elle n’en présentera pas demain. L’une des deux motions demande donc que toutes les entreprises fassent une nouvelle analyse de l’égalité salariale tous les quatre ans. Les entreprises qui présentent une différence de salaire entre hommes et femmes doivent répéter l’analyse après deux ans déjà.

Les entreprises doivent en outre être légalement tenues de procéder à des analyses de salaires dans le cadre des contrôles existants du marché du travail. Jusqu’à présent, la LEg ne prévoit aucun contrôle et surtout aucune sanction en cas de non-respect de l’égalité salariale. transfair demande que les entreprises soient obligées de prendre des mesures efficaces et appropriées en cas de différences salariales inexpliquées. Si elles ne le font pas dans un délai de quatre ans, elles doivent être sanctionnées.

Une dernière revendication concerne le rôle des représentations des travailleuses et travailleurs : à l’avenir, un article supplémentaire de la LEg doit stipuler que ces organisations doivent également être informées par les employeurs des résultats de leurs analyses salariales. Une telle information supplémentaire permettrait d’améliorer autant la communication que l’effet des analyses, et les représentations syndicales pourraient mieux remplir leur devoir envers les travailleuses et travailleurs.

Travail.Suisse et transfair s’engagent pour l’égalité salariale

En plus des interventions politiques, Travail.Suisse et ses syndicats, dont transfair, s’engagent dans la lutte contre la discrimination salariale en Suisse, à travers le projet RESPECT8-3.CH. RESPECT8-3.CH s’engage contre la discrimination salariale en instaurant la transparence. Sur son site internet, toutes les entreprises qui respectent la loi sur l’égalité peuvent s’inscrire sur une « liste blanche ». Les entreprises employant moins de 100 personnes peuvent également s’y inscrire volontairement. Ainsi, les entreprises qui attachent de l’importance à l’égalité salariale envoient un signal clair.